03 août 2013
Clos des Cimes, Elodie Aubert et Raphaël Gonzalès
Le col de Propiac, 526 mètres. Pas sur les tablettes hors catégorie du Tour de France cette année, malgré son passage dans la région. En venant du village, après quelques lacets, les cyclotouristes, même s'ils ne sont pas en passe de franchir le Galibier ou le Tourmalet, auront tendance à se laisser glisser dans la descente vers Mollans, Vaison ou Faucon, synonyme de récupération après l'effort, sous la chaleur estivale. Pourtant, ils pourraient opter pour ce petit chemin à droite, qui conduit au Clos des Cimes, histoire d'atteindre le sommet des vignes et un domaine hors du commun.
Vue sur les Baronnies
Plus qu'un domaine viticole, les visiteurs découvrent là un ensemble où la polyculture, même partielle, n'est pas une résurgence du passé, mais plutôt une sorte d'idéal s'appuyant sur un patrimoine séculaire. La famille d'Elodie Aubert est une des plus anciennes du vieux village de Mérindol les Oliviers. Sur ce domaine familial, la grand-mère d'Elodie dû faire preuve d'imagination et d'abnégation après le grand gel de 1956, dramatique au point de détruire l'essentiel des cultures présentes ici, du fait notamment de l'altitude relativement élevée (entre 520 et 650 mètres). On y trouvait alors amandiers, oliviers, abricotiers, cerisiers, tilleuls, petites céréales, élevage de brebis et de chèvres, mais aussi un peu de vigne. C'est pour cette dernière que la grand-mère opta finalement en grande partie, sur les parcelles de cet espèce de cirque d'altitude, sous la tour de défense protectrice du vieux château de Mérindol, datant du Xè et du XIIè siècle. Depuis, la plus récente génération a décidé de mener les vins du domaine au sommet, de continuer à soigner les abricotiers (souvent des orangés de Provence) et, depuis peu, de livrer une partie de cet espace naturel à un petit troupeau d'une vingtaine de brebis. La vie quoi, avec vue panoramique sur le Ventoux, les Baronnies et toutes les collines du secteur, pour un territoire que l'on se réjouit de découvrir si actif et vivant, alors que, souvent, on n'en découvre d'autres du même acabit, livrés aux friches et ancrés aux souvenirs des plus anciens.
La bergerie
Les abricotiers et la tour vieux village de Mérindol-les-oliviers
Vignes et tour du vieux village de Mérindol-les-oliviers
Il faut bien sur découvrir tout cet espace et Elodie ne tarde pas à nous convier pour une petite visite de cette sorte de cratère planté d'arbres fruitiers et de vieux grenache. Son conjoint, Raphaël Gonzalès, urbain angevin de naissance, ne serait pas en reste pour nous guider, mais il est souvent sur les routes, parcourant le pays du sud au nord et d'est en ouest, afin de rencontrer amateurs et cavistes, sur tout ce que la France, mais aussi la Belgique et autres contrées voisines, comptent de salons en tous genres. Lors de notre passage et malgré une météo locale des plus agréables, il s'était jeté sur les routes pour coloniser le Nord et le Pas-de-Calais, alors touchés par une bruine réfrigérante, que l'on qualifierait de typique, si on ne craignait de subir les foudres ch'tis.
Vue sur Vaison-la-romaine
Le vieux village de Mérindol-les-oliviers face Sud
Le mont ventoux se cache
On peut tout d'abord admirer dans ce paysage, l'ancienne demeure familiale, ainsi que le château sur un piton calcaire. Le tout appartenait naguère au grand-père d'Elodie et fut vendu dans les années soixante. Depuis, château et donjon ont été rachetés par un haut-alpin, directeur en retraite d'une station de sports d'hiver, qui dit-on, a restauré l'ensemble de façon absolument remarquable. Pour un peu, là encore, comme dans d'autres lieux, notre imagination nous permettrait d'entendre le pas des chevaux sur le pont levis et les preux chevaliers réclamer de ce vin de grenache, pour rincer la bouche de la poussière blanche des chemins!...
Et aux pieds de l'ensemble, pas moins de neuf hectares de vignes et trois d'abricotiers. Elodie et Raphaël se sont rencontrés en Suisse, faisant partie de la même promotion de l'Ecole d'Ingénieurs de Changins. Au terme de ses études, en 2006, Elodie revient dans ce qu'elle admet être "son petit paradis terrestre", après quelques expériences lointaines et parfois solides, humainement et viticulturellement, comme auprès de René Barbier, au Clos Mogador, en Priorat. Un aspect des choses que la Fée des Vignes essaie de restituer aujourd'hui avec ses stagiaires, le jeune passionné Théo (que l'on pourrait bien revoir un jour dans ses propres vignes) et Isabelle la Catalane, qui fugue souvent pour revenir dans cet éden, notamment en ce moment, à l'heure de l'épamprage.
Parcelle la Prison
A son retour, Elodie retrouve des vignes dont les fruits sont destinés à la cave coopérative locale. Lorsque Raphaël la rejoint, l'option des vins de haute qualité est prise pour de bon, avec tout ce que cela implique de rigueur et de travail supplémentaire. Mais, ces grenache, qui en sont aujourd'hui à leur 58è feuille, ont toutes les qualités, sur des sols multiples et variés, le plus souvent argilo-calcaires et caillouteux, pour produire de beaux nectars. Selon la vigneronne des cimes, ces vieilles vignes sont "autonomes". Elles ne produisent guère plus de 10 à 12 hl/ha, mais elles n'ont jamais une grappe de trop, comme si elles s'autorégulaient.
La propriété n'est pas très étendue, mais elle tend à devenir une sorte de conservatoire des cépages, avec des vignes souvent complantées. On y trouve notamment deux variétés de cinsault, que les plus anciens rhodaniens connaissent bien, mais aussi de vieux ugni blancs, pour lesquels une sélection massale s'impose, malgré ce que cela implique de difficultés administratives. Dans la partie la plus haute du domaine, on trouve aussi une micro parcelle où des cépages valaisans sont aussi présents, à titre expérimental, mais les années de formation helvètes ont laissé des traces. Seul problème : cette petite arvine et ce cornalin semblent être particulièrement appréciés des sangliers du secteur... Heureusement, le chasselas, associé au grenache blanc et à l'ugni blanc dans la cuvée Les Petits Sylphes, ne subit pas le même sort.
Vue sur Vaison-la-romaine / Orange
Comme on peut l'imaginer aisément, la viticulture bio, impliquant une réduction à son strict minimum du nombre de traitements, est favorisée dans un tel site. En donner le détail doit laisser les vignerons d'autres régions quelque peu rêveurs... Lors de notre visite, fin juin, aucun passage n'avait encore été nécessaire!... Un soufre mouillable était seulement programmé, juste avant la fermeture de la grappe. Le plus souvent, un à deux traitements seulement sont nécessaires. Certaines années, comme il y a deux ans, une pression mildiou se fait sentir, mais le dernier essai, dans de telles circonstances, avec une pulvérisation de tisane de prêle, orties et écorce de chêne, a montré une bonne efficacité. A contrario, les années au cours desquelles l'oïdium est présent, sont les plus craintes ici. Parmi les préoccupations du moment, le bilan carbone. Il s'agit de minimiser l'utilisation du tracteur sur l'exploitation, mais d'autres aspects, comme certaines expéditions lointaines et quelques récents succès à l'export (Canada, Belgique, Luxembourg, Espagne et peut-être bientôt Etats-Unis), ne sont pas sans poser quelques soucis de cohérence au couple de vignerons du Clos des Cimes.
En terme de production, le rapprochement avec l'AOC Côtes-du-Rhône, en vigueur ici, devient de plus en plus relatif. Blancs et rosé sont déjà hors appellation et Elodie s'interroge de plus en plus quant aux rouges... Les premiers subissent des vinifcations somme toute classiques, mais dans un mode plutôt ambitieux, conduisant à la fourniture de vins de caractère et aucun n'est pris à la légère. Néanmoins, leur naturel nous revient au galop. Le premier blanc, L'Elfe Doré 2012, est un joli assemblage de grenache blanc et d'ugni blanc vinifiés et élevés de trois à six mois en cuve. Le second, Les Petits Sylphes 2012 (grenache, ugni et chasselas), vinifié et élevé en barriques pendant une durée équivalente, est une très belle alternative pour une goûteuse cuisine de poissons et crustacés. Le rosé, Petite Fugue 2012, 100% syrah, qui a suivi le même parcours que le second blanc, a lui aussi un très beau potentiel gastronomique.
Le chai
Les blancs et rosé du Clos des Cimes
portes du chai
Trois rouges complètent la gamme : La Fée des Vignes 2011 est un assemblage de 60% de grenache, 30% de cinsault et d'un peu de syrah, le tout suivant une vinification traditionnelle. Un côté très sud et une bouche joliment poivrée, épicée. Le second, La Clef des Champs 2011 (grenache, syrah et un peu de carignan) est dans un registre plus puissant. Vinifié en barriques ouvertes et élevé pendant dix-huit mois. Le troisième est encore plus intense et complexe. Le Clos des Cimes 2007 est composé sur les mêmes bases, mais l'élevage s'est prolongé pendant trente-sept mois, en mode semi-oxydatif. On passe résolument dans un autre registre, avec, par exemple, un gâteau au chocolat comme associé. Pour finir, un Clos des Cimes 2010, Sélection du Chateau de Germigney. Guère plus de trois cents bouteilles d'un assemblage grenache-syrah sur la puissance, mais avec une finesse gourmande et droite.
Les rouges du Clos des Cimes
Clos des Cimes spécial Château de Germigney (Jura)
Nectar d'abricot
On est assez surpris, lors d'un passage au domaine, de la jeunesse de l'ensemble et de la détermination de ce couple de vignerons, en vue de la production de grands vins "nature". Certes, la nature environnante, justement, peut les aider à franchir de nouvelles étapes et il ne s'agit pas de s'endormir en chemin. La prochaine échéance qui se profile, c'est la construction d'une maison-bergerie, avec si possible une cave plus fonctionnelle, sur le flanc nord de la montagne, près d'une petite bergerie en ruine, avec vue imprenable sur... le futur!... On devine que d'autres projets peuvent voir le jour, avec ses esprits volontaires et opiniâtres, qui n'auront sans doute pas besoin de l'approbation d'une multitude de personnes.
Tapenade maison
Ce qui est agréable, c'est qu'il est facile d'en parler, en toute simplicité, en dégustant une succulente tapenade maison, préparée de la main même de l'aieule, en appréciant un jambon de pays, dont le goût se grave dans votre mémoire ou en se régalant, avant de partir, d'un nectar d'abricots comme on en voit si peu. "Fabrication artisanale", c'est écrit sur l'étiquette, mais à ce niveau de qualité, on se dit qu'il n'y a pas un monde finalement, entre l'artisanat et la dimension artistique, que prennent parfois certaines productions agricoles et viticoles. Il est des rencontres qu'on aime faire, parce qu'elles vous laissent croire, certains jours, que quelques pas de plus sont possibles, alors que vos yeux gardent sans cesse un oeil dans le rétroviseur. Étonnez-vous, en gravissant les cimes!...
Phillipe RAPITEAU